ERAMA
 

Le genre au service du genre. Quelle autorité pour les femmes dans le roman grec ?

R. Brethes (Professeur de Chaire Supérieure, Lycée Janson-de-Sailly)

Pour un genre aussi vola­tile que le roman anti­que, qui se carac­té­rise par une flexi­bi­lité lui per­met­tant de se « réin­ven­ter » et de se « réo­rien­ter » (T. Whitmarsh), et qui se cons­truit sur une symé­trie sexuelle plus (D. Konstan) ou moins (S. Lalanne) avérée, les fron­tiè­res entre le mas­cu­lin et le fémi­nin ten­dent-elles à s’annu­ler, ou tout du moins à se brouiller ? Les mani­fes­ta­tions de l’auto­rité dans le roman grec se pro­dui­sent à des niveaux varia­bles : nar­ra­to­lo­gi­que (qui parle ? qui prend en charge la nar­ra­tion ?), dis­cur­sif (quels sont les effets pro­duits par les dis­cours et ceux qui les pro­non­cent ? quelle est leur « colo­ra­tion » rhé­to­ri­que ?), social (poids de l’auto­rité fami­liale, repré­sen­tants du pou­voir), reli­gieux (fonc­tion et rôle des dieux et dées­ses, notam­ment dans la téléo­lo­gie érotique des romans) ou sexuel (figu­res des rivaux et pré­da­teurs, symé­trie dans le couple roma­nes­que). De ce point de vue, peut-on parler d’une auto­rité pro­pre­ment fémi­nine dans le roman grec, dans la mesure où ce der­nier semble pro­mou­voir des valeurs ou des codes de com­por­te­ment (vir­gi­nité, tem­pé­rance, fidé­lité…) que les héroï­nes roma­nes­ques incar­nent à des degrés divers ? Si Chariclée, chez Héliodore, repré­sente bien l’inté­rio­ri­sa­tion de la contrainte de pureté évoquée par M. Foucault, Callirhoé se marie par deux fois dans le roman de Chariton, alors que Leucippé émet des signaux favo­ra­bles aux ten­ta­ti­ves de séduc­tion typi­que­ment ovi­dienne de Clitophon. Les romans grecs, avec leurs jeux réflexifs et leurs trompe-l’œil, sont tout autant les vec­teurs d’une auto­rité morale et idéo­lo­gi­que que les contes­ta­tai­res de cette auto­rité, et il convien­dra de s’inter­ro­ger sur le rôle de cer­tains per­son­na­ges fémi­nins comme miroir de ce double rap­port à l’auto­rité.