La première apparition de Thersite, au chant II de l’Iliade, le dépeint comme un personnage éminemment négatif. Aux défauts physiques font écho les bassesses morales : laid, chauve et boiteux, lâche, bavard et irrespectueux ne sont que quelques uns des adjectifs dépréciatifs qui lui sont associés dans les 60 vers qu’il occupe dans l’œuvre. Les auteurs postérieurs ne s’y sont pas trompés, eux qui sont nombreux à l’avoir, d’une façon ou d’une autre, exploité, réutilisé et réactualisé, toujours comme modèle de laideur. Pendant près d’un millénaire, l’autorité de l’Iliade semble incontestée.
C’est Lucien qui, le premier, ose remettre la tradition en question : et si un Thersite différent était possible ? La figure devient alors fluctuante : Libanios, mais aussi Shakespeare, Lessing, Zweig, Rosenberg ou Simmons le réinventent lâche, héros, bouffon, traître, victime, amoureux transi... Au gré des idées, souvent politiques, sous-tendant chaque nouvelle apparition de Thersite, de la conception que les auteurs se font de la guerre de Troie et de ses héros, le Thersite d’origine est balloté, malmené, recréé mille fois. Jusqu’où l’autorité de l’Iliade peut-elle résister à ses réécritures ?