ERAMA
 

Réinventions de Thersite : l’autorité d’Homère mise à mal

Yannick Diebold

La pre­mière appa­ri­tion de Thersite, au chant II de l’Iliade, le dépeint comme un per­son­nage éminemment néga­tif. Aux défauts phy­si­ques font écho les bas­ses­ses mora­les : laid, chauve et boi­teux, lâche, bavard et irres­pec­tueux ne sont que quel­ques uns des adjec­tifs dépré­cia­tifs qui lui sont asso­ciés dans les 60 vers qu’il occupe dans l’œuvre. Les auteurs pos­té­rieurs ne s’y sont pas trom­pés, eux qui sont nom­breux à l’avoir, d’une façon ou d’une autre, exploité, réu­ti­lisé et réac­tua­lisé, tou­jours comme modèle de lai­deur. Pendant près d’un mil­lé­naire, l’auto­rité de l’Iliade semble incontes­tée.

C’est Lucien qui, le pre­mier, ose remet­tre la tra­di­tion en ques­tion : et si un Thersite dif­fé­rent était pos­si­ble ? La figure devient alors fluc­tuante : Libanios, mais aussi Shakespeare, Lessing, Zweig, Rosenberg ou Simmons le réin­ven­tent lâche, héros, bouf­fon, traî­tre, vic­time, amou­reux transi... Au gré des idées, sou­vent poli­ti­ques, sous-ten­dant chaque nou­velle appa­ri­tion de Thersite, de la concep­tion que les auteurs se font de la guerre de Troie et de ses héros, le Thersite d’ori­gine est bal­loté, mal­mené, recréé mille fois. Jusqu’où l’auto­rité de l’Iliade peut-elle résis­ter à ses réé­cri­tu­res ?