La grandeur de Virgile tient pour beaucoup au statut de ce poète, qui eut peut-être la chance de vivre en un âge – l’âge augustéen – propice aux (re)fondateurs, mais qui eut aussi le génie de relever le défi que cette inscription impliquait pour lui, en tant qu’auteur de vers épiques : après avoir implanté la poésie bucolique à Rome, il dut trouver le moyen de s’imposer comme le nouvel Homère latin.
Aux commencements – sinon exactement lors de la fondation – de la littérature latine en général, et de l’épopée en particulier, Ennius, le « père », avait déjà revendiqué ce titre, en allant même jusqu’à se présenter comme Homère rediuiuus – Homère re-né en lui, grâce au principe de la métempsycose.
Il serait bien évidemment impossible d’exposer en peu de temps le dossier des rapports de la poésie de Virgile à celle de ces deux devanciers, qui joue en fait, surtout pour celle d’Homère, un rôle absolument essentiel, matriciel dans la constitution d’un poème comme l’Énéide. Je préférerai revenir sur la façon dont Virgile « représente » Homère et Ennius dans son épopée : comment les reconnaît-il en tant que fondateurs, et comment lui-même se présente-t-il comme fondateur après eux ?
Dans le dernier temps de ma présentation, je déstabiliserai un peu les choses – ou plutôt je montrerai que Virgile lui-même peut ne pas affirmer sa situation (de néo-fondateur) d’une manière parfaitement imposante ou impérieuse. Mais pour dissiper les doutes éventuellement manifestés par Virgile, ses successeurs sont là, et je retrouverai la figure de Fama pour voir comment des poètes comme Ovide, Valerius Flaccus ou Stace consacrent Virgile comme fondateur, ou réinventeur, de la tradition épique gréco-latine.