ERAMA

Séverine Clément-Tarantino (Université Lille 3 - UMR 8164 HALMA-IPEL)

La gran­deur de Virgile tient pour beau­coup au statut de ce poète, qui eut peut-être la chance de vivre en un âge – l’âge augus­téen – pro­pice aux (re)fon­da­teurs, mais qui eut aussi le génie de rele­ver le défi que cette ins­crip­tion impli­quait pour lui, en tant qu’auteur de vers épiques : après avoir implanté la poésie buco­li­que à Rome, il dut trou­ver le moyen de s’impo­ser comme le nouvel Homère latin.

Aux com­men­ce­ments – sinon exac­te­ment lors de la fon­da­tion – de la lit­té­ra­ture latine en géné­ral, et de l’épopée en par­ti­cu­lier, Ennius, le « père », avait déjà reven­di­qué ce titre, en allant même jusqu’à se pré­sen­ter comme Homère rediuiuus – Homère re-né en lui, grâce au prin­cipe de la métemp­sy­cose.

Il serait bien évidemment impos­si­ble d’expo­ser en peu de temps le dos­sier des rap­ports de la poésie de Virgile à celle de ces deux devan­ciers, qui joue en fait, sur­tout pour celle d’Homère, un rôle abso­lu­ment essen­tiel, matri­ciel dans la cons­ti­tu­tion d’un poème comme l’Énéide. Je pré­fé­re­rai reve­nir sur la façon dont Virgile « repré­sente » Homère et Ennius dans son épopée : com­ment les reconnaît-il en tant que fon­da­teurs, et com­ment lui-même se pré­sente-t-il comme fon­da­teur après eux ?

Dans le der­nier temps de ma pré­sen­ta­tion, je dés­ta­bi­li­se­rai un peu les choses – ou plutôt je mon­tre­rai que Virgile lui-même peut ne pas affir­mer sa situa­tion (de néo-fon­da­teur) d’une manière par­fai­te­ment impo­sante ou impé­rieuse. Mais pour dis­si­per les doutes éventuellement mani­fes­tés par Virgile, ses suc­ces­seurs sont là, et je retrou­ve­rai la figure de Fama pour voir com­ment des poètes comme Ovide, Valerius Flaccus ou Stace consa­crent Virgile comme fon­da­teur, ou réin­ven­teur, de la tra­di­tion épique gréco-latine.