Le nom de Tite-Live est pour nous tellement attaché à l’Histoire romaine que nous en venons à oublier combien il s’agit d’un historien atypique. Les autres historiens romains – avant et après Tite-Live – sont des sénateurs qui se consacrent à l’écriture de l’histoire au soir de leur vie et dont l’auctoritas en tant qu’auteurs est assurée par celle dont ils disposent dans la société et qu’ils ne font que rappeler : de ce point de vue les préfaces de Salluste ou de Tacite, pour ne citer que deux exemples, sont parfaitement claires ; la présentation que fait Cicéron de l’histoire comme opus maxime oratorium – expression dans laquelle il faut se garder de ne voir qu’une question littéraire – va dans le même sens. À l’inverse, tout au moins autant que nous le sachions, Tite-Live n’a géré aucune magistrature. Mais il est également atypique dans la mesure où ses prédécesseurs immédiats se sont très majoritairement intéressés à l’histoire récente, celle dont Cicéron réclame justement qu’on l’écrive, tandis que Tite-Live choisit de remonter aux origines de Rome. Ce faisant il participe bien entendu au débat que provoque à Rome l’utilisation de l’histoire par la propagande augustéenne, mais – comme je le montrerai par l’étude de la Préface de l’ab Vrbe condita – il se place du même coup sous une auctoritas supérieure à celle de ses prédécesseurs, l’auctoritas populi Romani, dans la mesure même où il en fait l’histoire. Ce n’est donc plus une auctoritas extérieure à son œuvre qu’il revendique, mais une auctoritas générée par son statut d’écrivain respectant à la lettre les « lois » du genre historique. De ce point de vue – c’est aussi ce que dit la Préface pour qui accepte de la lire pour ce qu’elle est – l’auctoritas que revendique Tite-Live est très proche de celle que l’on reconnaît aux poètes, ce qui n’est pas sans intérêt dans le cadre des rapports étroits qui existent à Rome entre Poésie et Histoire.