ERAMA
 

 Tite-Live : quelle auctoritas pour un historien ?

Gérard Salamon (ENS de Lyon)

Le nom de Tite-Live est pour nous tel­le­ment atta­ché à l’Histoire romaine que nous en venons à oublier com­bien il s’agit d’un his­to­rien aty­pi­que. Les autres his­to­riens romains – avant et après Tite-Live – sont des séna­teurs qui se consa­crent à l’écriture de l’his­toire au soir de leur vie et dont l’auc­to­ri­tas en tant qu’auteurs est assu­rée par celle dont ils dis­po­sent dans la société et qu’ils ne font que rap­pe­ler : de ce point de vue les pré­fa­ces de Salluste ou de Tacite, pour ne citer que deux exem­ples, sont par­fai­te­ment clai­res ; la pré­sen­ta­tion que fait Cicéron de l’his­toire comme opus maxime ora­to­rium – expres­sion dans laquelle il faut se garder de ne voir qu’une ques­tion lit­té­raire – va dans le même sens. À l’inverse, tout au moins autant que nous le sachions, Tite-Live n’a géré aucune magis­tra­ture. Mais il est également aty­pi­que dans la mesure où ses pré­dé­ces­seurs immé­diats se sont très majo­ri­tai­re­ment inté­res­sés à l’his­toire récente, celle dont Cicéron réclame jus­te­ment qu’on l’écrive, tandis que Tite-Live choi­sit de remon­ter aux ori­gi­nes de Rome. Ce fai­sant il par­ti­cipe bien entendu au débat que pro­vo­que à Rome l’uti­li­sa­tion de l’his­toire par la pro­pa­gande augus­téenne, mais – comme je le mon­tre­rai par l’étude de la Préface de l’ab Vrbe condita – il se place du même coup sous une auc­to­ri­tas supé­rieure à celle de ses pré­dé­ces­seurs, l’auc­to­ri­tas populi Romani, dans la mesure même où il en fait l’his­toire. Ce n’est donc plus une auc­to­ri­tas exté­rieure à son œuvre qu’il reven­di­que, mais une auc­to­ri­tas géné­rée par son statut d’écrivain res­pec­tant à la lettre les « lois » du genre his­to­ri­que. De ce point de vue – c’est aussi ce que dit la Préface pour qui accepte de la lire pour ce qu’elle est – l’auc­to­ri­tas que reven­di­que Tite-Live est très proche de celle que l’on reconnaît aux poètes, ce qui n’est pas sans inté­rêt dans le cadre des rap­ports étroits qui exis­tent à Rome entre Poésie et Histoire.