Eudoxe de Cnide, dont l’oeuvre n’est plus connue que par des citations et des témoignages, fut une figure d’autorité scientifique sans comparaison dans le monde méditerranéen antique. Son autorité se perpétua pendant plus d’un millénaire, se diffusa dans les cultures avoisinantes de la Méditerranée (par exemple en Égypte et en Italie) et s’étendit aussi à une forme d’autorité morale (dès l’Éthique à Nicomaque d’Aristote).
Un de ses principaux titres de gloire fut, en mathématiques, la solution du « problème délien ». Nous montrerons d’abord qu’un document épigraphique, jusqu’à présent ignoré des historiens des sciences et de la philosophie, permet d’éclairer d’un jour nouveau les témoignages reliant Eudoxe au « problème délien » : cette inscription atteste qu’Eudoxe avait voué des écrits astronomiques à un dieu délien. Nous resituerons cette information dans le contexte de la pratique bien attestée en Grèce ancienne qui consiste à dédier ses écrits dans un temple pour assurer leur publicité et asseoir son autorité scientifique.
À partir d’interprétations nouvelles de plusieurs fragments de l’actuelle édition de référence1, nous identifierons ensuite chez Eudoxe d’autres stratégies visant à construire l’autorité scientifique : l’inscription dans des traditions anciennes (la composition d’un Parapegme astrométéorologique et d’une Gês periodos) qui sont renouvelées par l’adoption de partis pris originaux (l’inclusion de l’histoire des idées dans le champ de la géographie, la reconnaissance de la sphéricité de la terre, l’autonomisation de la météorologie) ; l’établissement de genres nouveaux de littérature scientifique (la description du ciel dans les Phénomènes et le Miroir) ; la volonté encyclopédique d’embrasser le champ de la connaissance dans son intégralité (espace terrestre et céleste, temps long et temps court, réalité sensible et intelligible). Nous interrogerons simultanément l’efficacité de ces stratégies, telle que la révèle la réception de la figure d’Eudoxe par la postérité.
F. Lasserre, Die Fragmente des Eudoxos von Knidos, Berlin 1966.