ERAMA
 

Tiphaine Moreau, « Au-dessus des hommes, soumis à Dieu. Réflexions sur l’auto­rité impé­riale dans le lan­gage ges­tuel du pou­voir aux IVe et Ve siè­cles »

Tiphaine Moreau (Université de Bretagne Ouest)

Cette com­mu­ni­ca­tion se pro­pose d’inter­ro­ger les expres­sions ico­no­gra­phi­ques de l’auto­rité des empe­reurs romains chré­tiens aux IVe et Ve siè­cles par un regard croisé entre numis­ma­ti­que, art sta­tuaire et lit­té­ra­ture. Un aspect par­ti­cu­lier de l’ico­no­gra­phie impé­riale a retenu notre atten­tion : celui des pos­tu­res et de la ges­tuelle de l’empe­reur.

Son auto­rité se trouve en effet signi­fiée par des atti­tu­des qui mani­fes­tent sa supé­rio­rité par rap­ports aux hommes. Ainsi, des repré­sen­ta­tions topi­ques sont invo­quées dans la numis­ma­ti­que comme celle de l’empe­reur debout, posant un pied domi­na­teur sur un captif bar­bare (bron­zes du IVe siècle) ; trô­nant avec ses fils et Césars, il les dépasse par la taille (Missorium de Théodose, solidi du Ve siècle) ; lorsqu’il se tient à cheval, l’empe­reur sur­plombe les sol­dats, qui, pied à terre, se trou­vent en péri­phé­rie de la com­po­si­tion (Missorium de Constance II). Ces repré­sen­ta­tions topi­ques de l’auto­rité n’ont pas l’objec­tif de res­ti­tuer des images réa­lis­tes, mais de dif­fu­ser un pro­gramme ico­no­gra­phi­que pro­pa­gan­diste qui relève de la concep­tion d’une auto­rité impé­riale supé­rieure et inexo­ra­ble . La taille colos­sale des sta­tues de Constantin en témoi­gne. Il convient néan­moins que, chré­tien, l’empe­reur se sou­mette à Dieu à qui revien­nent la légi­ti­mité et la lon­gé­vité de son règne. Du fait d’une néces­saire humi­li­tas, l’empe­reur ne sau­rait être repré­senté au-dessus de la divi­nité. Aussi les bustes impé­riaux de la numis­ma­ti­que et de la sta­tuaire du IVe siècle don­nent-ils à voir des empe­reurs qui lèvent les yeux vers le ciel ; de même, la grande croix que tient l’empe­reur sur les revers de solidi du Ve siècle dépasse par la taille les scep­tres tra­di­tion­nels et se sub­sti­tue à ces der­niers afin de rendre visi­ble la l’ori­gine divine de son auto­rité ; enfin, le modèle d’humi­lité le plus accom­pli se trouve rap­porté par la lit­té­ra­ture : il s’agit de l’empe­reur Théodose (379-395) contraint par l’évêque Ambroise de Milan de faire en public les gestes rituels de la péni­tence après le mas­sa­cre de Thessalonique.

L’ico­no­gra­phie impé­riale conforte la hié­rar­chie du pou­voir telle qu’elle est conçue par Eusèbe de Césarée dans le Triakontaétérikos (dis­cours adressé à l’empe­reur Constantin le 25 juillet 336). L’empe­reur étend son auto­rité sur les hommes parce qu’il a été élu pour pré­pa­rer les hommes au Salut. Dans ce rôle soté­rio­lo­gi­que, il est un repré­sen­tant du Logos, mais il ne sau­rait pour autant se sub­sti­tuer à lui, puisqu’il est soumis à la loi divine. Les pos­tu­res et les gestes des empe­reurs chré­tiens, tels qu’ils sont saisis par les textes et l’ico­no­gra­phie de cette époque, don­nent à voir une posi­tion désor­mais inter­mé­diaire de l’auto­rité impé­riale, simul­ta­né­ment impé­ra­tive avec les hommes et ser­vante du Dieu unique.